«Lors du cessez le feu, le 19 mars 1962, j’étais sous les drapeaux en Algérie»
Témoignage d’un ancien marssacois, aujourd’hui disparu, déjà diffusé il y a quelques années, que nous avons souhaité partager avec vous.
«Lors du cessez le feu, le 19 Mars 1962, j’étais sous les drapeaux en Algérie. J’y étais depuis près de deux ans, comme appelé du contingent, incorporé direct.
De ce que j’ai vécu ce jour-là, il ne faudra surtout pas en faire une généralité, car nous étions de nombreux soldats et, de Constantine à Sidi Bel Abbès en passant par le massif du Hoggar, rien n’était pareil.
C’est l’histoire d’un groupe de jeunes de 20 ans, dont j’étais, qui, la veille du printemps, étaient de garde dans la nuit du 18 au 19 Mars 1962. Bien sûr, nous n’avions pas choisi cette situation, d’autres l’avaient choisie pour nous. C’était la guerre. Nous n’étions pas faits pour ça, mais nous y étions et peut-être un peu aidés par l’insouciance de nos vingt ans, nous faisions notre devoir, dans la discipline, avec sérieux et courage, même si parfois il nous arrivait d’avoir peur.
Ce soir-là, j’étais chef d’un poste de garde, sur la base d’Aïn Arnat, située à quelques kilomètres de Sétif, sur les hauts plateaux algériens. Depuis quelques jours, nous sentions bien qu’il se passait des choses importantes.
Le 7 mars, les discussions avaient repris à Evian, entre les représentants du gouvernement de la République Française et les représentants du FLN. Pour le peu que nous en savions, le dénouement était proche, mais l’information n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui et les moyens techniques pour communiquer non plus. Heureusement, nous étions aux débuts du poste «transistor» et nous arrivions, quand les émissions n’étaient pas trop brouillées, à saisir quelques infos et, ce soir-là, il y avait un transistor dans le poste de garde.
Le protocole de cette nuit prévoyait une ronde à minuit. Je partis donc faire le tour des postes et après avoir obéi aux sommations réglementaires de chaque sentinelle et donné à chaque fois le mot de passe pour me faire reconnaître, je retournai au poste, ma ronde terminée. Tous les gars m’attendaient :
- «Ça y est, ils ont signé, on vient de l’entendre ! Le cessez le feu prend effet à midi». Difficile de vous décrire ce que j’ai ressenti, tout se passait à l’intérieur. Il n’y eut pas de scène de liesse, peut-être étions-nous trop las de cette guerre qui rongeait nos vingt ans. Cela se bousculait un peu dans notre tête. Nous savions bien que cela ne voulait pas dire le retour au bercail immédiat, mais cela voulait peut-être dire que nous nous en étions sortis. Après avoir échangé quelques mots, les gars rejoignirent leur mauvais lit dans le silence, pour tenter de dormir un peu, car ils savaient que la nuit serait dure et qu’il y aurait des relèves à assurer. Assis à la table, j’attendis l’heure de la prochaine relève et lorsqu’elle arriva, je commençais avec ménagement à réveiller l’occupant du premier lit : - «Je ne dormais pas, me dit-il, je pensais à plein de choses».
Il n’était pas le seul, car tous ceux dont c’était le tour, se levèrent immédiatement. Chacun prit son arme et ses munitions, je pris la tête de la colonne et nous partîmes relever chaque poste. A chaque fois, j’annonçais la nouvelle à voix basse à celui que nous relevions. Il fallait qu’il sache lui aussi. La nuit se déroula comme une nuit de garde calme, mais elle était gravée à jamais dans nos mémoires.
Quand l’équipe de jour vint nous relever, après le passage des consignes, il y eut quelques échanges entre nous. Nous avions besoin d’en parler ! Puis, chacun rejoignit son poste de travail, car bien sûr, ce n’était pas parce que l’on avait monté la garde la nuit que l’on dormait le jour.
Au Rapport, après la montée des couleurs, le Capitaine, en personne, lut le communiqué officiel : «Cessez le feu aujourd’hui 19 Mars à midi !».
A partir de ce jour, plus rien ne fut pareil. La guerre était finie, mais, malheureusement, on ne peut pas
tout régler d’un simple trait de plume. Pendant ces huit ans de guerre, des plaies s’étaient ouvertes, d’autres s’ouvraient encore pour longtemps, douloureuses, difficiles à refermer.
Le 16 Juin, je quittais définitivement l’Algérie : j’y avais «servi» 26 mois. Voilà, c’est une histoire simple, sans prétention, qui raconte un moment important de notre histoire, vécu par de jeunes français qui faisaient leur devoir quand ils avaient vingt ans.»
Paul L.